Les travailleuses agricoles ont fait du chemin

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L’agriculture. Voilà un secteur où la précarisation bat son plein. Absence de protection sociale, de contrats de travail, travail des mineurs, conditions déplorables, manque d’hygiène, d’eau potable et de transport décent…

Autant de dépassements qui font de l’agriculture l’un des secteurs où l’application de la législation de l’emploi est tout bonnement absente. Pire, ce constat concerne une population pauvre, démunie et plutôt féminine. Doublement marginalisées, de par leur appartenance à un monde rural pauvre et travaillant dans des conditions parfois inhumaines, les femmes travaillant dans le secteur agricole sont souvent obligées d’accepter de telles conditions, vu le manque d’opportunités d’emplois. Partant de ce constat, Oxfam, un réseau international de 17 ONG, a lancé une initiative des plus louables.

En partenariat avec l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement (AECID) et l’Union européenne, Oxfam a ainsi entamé un projet visant l’amélioration des conditions des travailleuses dans le secteur des fruits rouges au Maroc. Le projet a été implémenté dans les deux régions qui produisent plus de 90% de ce secteur au Maroc, à savoir Gharb-Chrarda-Bni Hssen et Larache. Les résultats de ce projet ont été présentés hier, 2 décembre à Rabat, et sont plutôt positifs. «Le taux d’immatriculation à la CNSS des personnes travaillant dans le secteur des fruits rouges dans ces deux zones est aujourd’hui d’environ 65%. Ceci est remarquable en considérant que le taux moyen d’immatriculation pour les personnes actives dans le secteur agricole au Maroc est d’environ 5%», déclare Abdeljalil Laroussi, responsable de ce programme au sein de l’Oxfam.

Cette association qui lutte contre les injustices et la pauvreté dans plus de 90 pays s’est attaquée à trois problématiques principales dans ces deux régions : la sécurité sociale, les conditions de travail et le transport des travailleuses. La protection sociale a été cependant le volet le plus stratégique de ce programme. «Nous avons mené ce travail durant environ 4 ans. Au début, nous avons malheureusement remarqué que la grande majorité des 20.000 travailleuses dans ce secteur n’étaient pas déclarées à la CNSS. Entre 10 et 15% l’étaient dans la région du Gharb pour 4% à Larache. Nous avons ainsi pu convaincre les exploitants et les patrons d’usines de recourir à cette pratique qui pour rappel est obligatoire au regard de la loi.

Aujourd’hui, nous ne pouvons que nous réjouir avec un taux de 65% de déclarations. Ce qui représente en soi un record au Maroc», se réjouit Laroussi. Mais avant d’atteindre ce record, Oxfam a été confrontée à un problème de taille. Pour que les travailleuses soient identifiées à la CNSS, elles doivent disposer au moins d’une Carte d’identité nationale. «Nous sommes tombés sur plusieurs cas de jeunes filles issues de mariages traditionnels et qui ne disposent ni d’état civil ni de CIN», poursuit Laroussi. Solution : régler le problème en amont en engageant des procédures auprès des instances juridiques concernées. Un processus qui s’est avéré très complexe et long, mais qui a été résolu pour 1.500 cas, totalement pris en charge par Oxfam.

Le deuxième volet a ensuite concerné l’amélioration des conditions de travail. Les travailleuses subissaient des violences verbales, voire physiques et des harcèlements. «Grâce à notre travail de sensibilisation, les exportateurs et les transporteurs ont adhéré à notre programme. Nous avons remarqué une nette amélioration des conditions humaines, mais le problème n’est toutefois par totalement réglé», précise le responsable du programme.
Enfin, l’association s’est intéressée au transport des travailleuses. Celles-ci sont transportées dans des camions, des tracteurs ou des minibus dans des conditions inhumaines, sur des routes impraticables durant des heures. L’objectif d’Oxfam a été de convaincre les opérateurs du secteur et les autorités de respecter la loi, puisqu’il existe un cahier des charges pour ce type de transport.

En 4 ans de tractations, ce dossier n’a pas abouti. «Je suis dans le regret de vous dire que nous n’avons pas avancé sur ce dossier. De Sidi Kacem à Larache, des femmes entassées dans des camions passent 2 heures dans des conditions lamentables avant d’arriver aux champs. Alors que la charge ne doit pas excéder 15 à 20 personnes, nous avons constaté qu’on transportait plus de 60 personnes. C’est contre la loi et même les gendarmes ne bougent pas le doigt face à cette situation calamiteuse. Nous avons organisé plusieurs rencontres avec les parties concernées, mais toutes n’ont pas abouti. Pour les réseaux routiers qui sont très détériorés, le ministère du Transport et de l’équipement s’est dédouané en avançant que ça ne relevait pas de ses compétences, mais plutôt de celles des communes.

De leur côté, ces dernières ne disposeraient pas de moyens», regrette Laroussi. Toutefois, ce dernier ne veut pas baisser les bras et compte impliquer aussi le secteur privé dans ce chantier. Selon lui, en améliorant les infrastructures routières et les conditions de transport, les exportateurs gagneraient en temps, en compétitivité et en productivité. Mais ce n’est pas tout, si le secteur privé devait aussi mettre la main à la poche, les autorités doivent aussi trouver des synergies afin d’éradiquer ce problème, en l’occurrence le ministère de l’Intérieur, celui de l’Équipement et les communes. Et ça, c’est une autre histoire…

Le secteur des fruits rouges en chiffres

L’agriculture est un secteur clé pour le développement économique du Maroc et représente 14% de son PIB. Le secteur des fruits rouges a beaucoup évolué en 20 ans. La culture des fraises a été multipliée par 15 et 80% de la production est aujourd’hui exportée vers l’Europe, selon Oxfam. Environ 20.000 femmes travaillent dans ce secteur, la moitié dans les usines, l’autre dans les champs. Les 2 régions sujettes à ce programme couvrent 7.000 ha d’exploitations agricoles spécialisées dans les fruits rouges pour 25 unités de production. Le chiffre d’affaires à l’export, lui, avoisine les 115 millions d’euros, selon Abdeljalil Laroussi, responsable du programme au sein d’Oxfam.

 

Source: Lematin.ma

 

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