“Le mercato annuel des encadrants a déshumanisé les exploitations“ Y. Bourglan, COPAG primeurs

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Ingénieur horticole formé à l’ENITHP d’Angers en France, Yann Bourglan, originaire de Bretagne, amorce sa carrière professionnelle au CIRAD (Centre International de Recherche Agronomique et Développement) en 1997 sur l’île de la Réunion, à côté de Madagascar. A l’interface de la Recherche et de l’animation de filière, il développera au sein de l’ARMEFLHOR (équivalent de l’APEFEL local) un réseau d’expérimentations intégrées chez les producteurs maraîchers hors sol, pépiniéristes et fraisiculteurs.  L’idée était que la recherche et la production coordonnent et partagent leurs programmes. Il occupera le poste de responsable « culture sous abris »,  jusqu’à son départ pour le Sénégal en 2004. De cette période, il retient les premiers essais de lutte intégrée tomate en zone tropicale, le basculement à la fibre de coco pour les substrats, les premières pépinières certifiées… et la richesse des échanges avec les réunionnais.

Au Sénégal, il occupe le poste de responsable agronomique des GDS (Grands Domaines du Sénégal), filiale du groupe Compagnie Fruitière, avant d’en devenir le Directeur d’exploitation.  En 5 ans, Au milieu des dunes de sables, le premier projet à grande échelle de production sous serres au Sénégal voit le jour et devient le plus gros exportateur de fruits et légumes frais du pays. Le Sénégal bénéficiant de conditions climatiques à peu près similaires à celles de la zone de Dakhla, les difficultés étaient tout autres que celles rencontrées au Maroc. Il fallait surtout apporter toute l’information technique à l’ensemble des équipes et intégrer l’entreprise à son environnement culturel et politique.

Cinq ans plus tard, en 2009, il s’installe à Agadir au Maroc pour le même groupe. Directeur du développement des produits du groupe Dole, adjoint du Directeur Technique du groupe Azura, il rejoint la COPAG comme Directeur de production chargé du lancement de COPAG Primeurs.

2016 : COPAG Primeurs est devenue une entreprise solide et reconnue, qui a su prendre sa place au sein de la filière. Passant de 14 000 à plus de 35 000 tonnes, elle devra affronter désormais les aléas d’un commerce international en pleine mutation.

4 A votre avis quels sont les facteurs limitant du développement du secteur agricole au Maroc ?

Je me sens humblement incapable d’apporter une réponse globale à cette question très large.

Des difficultés que nous rencontrons avec mes équipes et des échanges avec mes amis de la profession  je retire l’idée que nous connaissons tous nos facteurs limitant mais que nous doutons de notre capacité à les anticiper, à planifier leur résolution.

L’eau est évidemment notre principale limite, elle est vitale, nous basculons selon les experts dans une situation de pénurie actuellement. Nous sommes face à 260 millions de m3 de déficit hydrique annuel dans un contexte de baisse continue du niveau de la nappe, alors que 64% de nos besoins sont issus de forages. Ceci est notre grand défi pour les générations à venir. Cette situation a conduit partout dans le Monde à l’évolution suivante : perte de rentabilité des exploitations, Intrusion d’eau de mer dans la zone côtière, salinisation des sols, désertification, exode rural et appauvrissement des petits et moyens agriculteurs.

C’est un engrenage inévitable s’il n’est pas anticipé par la filière. Le Maroc propose des solutions : remplissage artificiel de la nappe par les eaux de ruissellement orientées vers des seuils, mise en place de stations de désalinisation et surtout, la maîtrise des consommations sur les fermes, par la mise en place du goutte-à-goutte et des outils de pilotage.  En tant que producteurs, nous avons la responsabilité d’accompagner cette résolution, qui naîtra forcément de l’engagement total de chacune des parties. C’est la seule façon de permettre à nos petits-enfants de continuer à cultiver nos terres, dans une région où il fait si bon vivre. Nous devons donc réussir.

Notre progression technique et la rationalisation des plannings de plantation nous amènent aujourd’hui à être potentiellement présent sur un marché export légume d’octobre à juin voir juillet et Août suivant les produits. Si de décembre à mars nos débouchés en Europe et en Russie sont à peu près assurés, par contre sur octobre/novembre comme en fin de campagne d’avril à juin, notre capacité d’exportation peut être plus forte que la demande de nos marchés traditionnels. Ce paramètre se répercute directement sur le marché local et le déstabilise.

Du Moyen Orient à l’Afrique de l’Ouest, les opportunités apparaissent beaucoup plus au Sud qu’au Nord sur ces périodes. Les régions de l’Afrique Equatoriale vivent des conditions climatiques qui rendent la production des fruits et légumes très difficiles sur ces périodes. Le Maroc qui ne représente actuellement que 1% de l’ensemble des importations de ces pays a réellement une carte à jouer. On s’aperçoit alors de la nécessité de nos organes de réflexions collectives impliquant les entreprises et les institutions.

Là encore toute la filière connait bien les trois éléments de blocage qui doivent être surmontés si l’on veut commercer avec ces pays.

 Le premier concerne évidemment les garanties de paiement : il ne s’agit pas de vendre, il s’agit d’être payé ! L’implantation actuelle des banques et des filiales de compagnies d’assurance marocaines en Afrique de l’Ouest est un  signe positif anticipant sans doute la résolution de cette problématique.

Le second implique les règles douanières : Les taxes imposées sur les produits à l’entrée sont aujourd’hui dissuasives et exigent une réflexion au plus haut niveau afin d’éviter le développement des solutions informelles qui font tant de mal au Continent.

Le troisième relève de la logistique et des aménagements portuaires à l’arrivée, devant permettre le stockage, la distribution et la commercialisation des produits. Nous avons l’avantage de connaitre le type de produit attendu. Paradoxalement, et du fait de la chaîne logistique nécessaire après réception, les exigences de ce marché devraient ressembler à celles de la Russie ou des pays du Golf que nous maîtrisons déjà. Là encore le Maroc s’est montré proactif avec l’installation d’entrepôts frigorifiques à Abidjan.

Au niveau transports et échanges, le rayonnement du royaume le place idéalement, les lignes existent et doivent entrer en parfaite synergie avec nos industries. Dans un continent en réelle croissance économique, beaucoup reste cependant à faire.

Il faudra donc du temps pour que ces filières deviennent opérationnelles. Ce temps nous en avons d’ailleurs besoin pour nous y préparer.

Sur nos marchés traditionnels, les défis sont également de taille. En spécialisant les débouchés commerciaux nous devons assumer de nouvelles normes plus globales, impliquant l’écologie et notre lien à l’environnement, le social et notre lien à nos salariés. Ces deux paramètres sont accompagnés d’un contrôle de plus en plus rigoureux, dans une proximité grandissante avec nos clients.

C’est un virage essentiel dans notre relation aux démarches qualité et aux certifications. Celles-ci ne peuvent plus être exclusivement des réponses aménagées pour l’audit, mais des modes de fonctionnement adoptés sur fermes et en station de conditionnement.

Il ne peut plus s’agir d’une réponse aux obligations de tel ou tel client, mais du développement de notre propre modèle. C’est dans cet esprit, d’un développement social et solidaire en adéquation avec son environnement, que la COPAG a inscrit la création de sa filière « Primeurs » dans le cadre du plan Maroc Vert. Notre agrégation est donc issue d’une volonté politique nationale à faire naître ce modèle. 

Notre principal facteur limitant réside dans l’instabilité de nos équipes sur fermes. Les pratiques et le mercato annuel des encadrants ont déshumanisé un grand nombre d’exploitations. Nous devons aujourd’hui fidéliser une main d’œuvre, la former, lui apporter de nouvelles compétences et l’intégrer dans des démarches administratives complexes. Quelle que soit la taille des exploitations, ce défi nécessite des compétences en gestion et ressources humaines qu’il nous faut développer.

De nombreuses entreprises marocaines ont d’ores et déjà engagé sinon finalisé ces mutations depuis quelques années. C’est une démarche très complexe qui expose les dirigeants à de nouvelles problématiques et à des confrontations différentes. Les quelques exemples de stabilité et de réussite par le renforcement des équipes dans le Souss, sont ceux des  entreprises porteuses, au-delà d’un contrat ou de la cotisation CNSS à leurs salariés, d’un véritable projet global, pensé dans toutes ses dimensions.

Sur le plan environnemental, les structures de recyclages se mettent en place mais il reste beaucoup de travail à faire pour le tri, la collecte et l’approvisionnement des unités. Il nous faudra sans doute sortir progressivement de l’informel, pour arriver à nous professionnaliser dans la gestion de nos déchets.

Sans parler des nématodes, des virus, du climat, du marché… il ne s’agit pas en fait de nos facteurs limitants, c’est juste une partie des défis que tente de relever le secteur Agricole Primeur du Souss actuellement.

5 Quelle stratégie a adopté la coopérative COPAG Primeurs pour répondre aux futurs défis du secteur, notamment les exigences qualité, y compris sur leur volet « social » toujours plus valorisé ?

Les 60 fermes qui constituent COPAG Primeurs couvrent de 2 à 45 ha de serres. Nous sommes donc un concentré de l’image de la filière et abordons les problématiques de manière Global en tant qu’Agrégation. Cependant, Nous observons également à travers la diversité des exploitations, tous les cas de figure que peut générer notre filière.

Du côté des producteurs qui ont rapidement accepté la perspective d’une évolution des pratiques et ont affiché une forte volonté d’avancer. Il faut intégrer le fait qu’entrant dans une coopérative affichant des engagements qualité forts, on passe d’une phase d’exploitation familiale à la gestion d’une entreprise agricole. Il faut accepter des règles collectives à appliquer, l’organisation des périodes de production et la nécessité de répondre aux commandes de marchés éloignés.

C’est une démarche exigeante, qui nécessitait toute la détermination de l’encadrement et l’implication des producteurs.

Tout le Monde a le devoir d’être aux normes Global G.A.P et dans une démarche de production de qualité. Progressivement depuis 3 ans, nous engageons des producteurs pilotes dans les certifications plus exigeantes. Comme dans l’ensemble de la filière, nous avons besoin de ces locomotives, dons le nombre progresse au fil des années afin qu’ils montrent le chemin et essuient les plâtres.

Ces démarches sont initiées sur des produits ciblés et des marchés spécifiques afin que le producteur en retire une plus-value sur les premières années. L’ensemble des producteurs est en parallèle informé que ces exigences deviendront rapidement une obligation pour tous. Quel que soit leur choix immédiat, c’est un bouleversement qu’il vaut mieux planifier plutôt que subir. Les axes Management et Ressource humaine prennent donc aujourd’hui une grande place dans nos plans de formations à destination des producteurs.

Ceci s’intègre dans une stratégie beaucoup plus globale car notre premier atout, est d’être l’une des filières d’un groupe coopératif riche de 15 000 adhérents. La force de COPAG, à travers son industrie laitière, l’élevage, les agrumes et les jus nous a apporté une grande sérénité et beaucoup d’expérience de marchés déjà maîtrisés.

 

6 Vous êtes en charge de la production chez COPAG Primeurs, conseiller du Président de la COPAG et aussi gérant du cabinet conseil ASD (Agro Stratégie Développement). Comment parvenez-vous à assurer autant de responsabilités ?

Il a toujours été clair avec le Président, que je n’étais pas là pour me construire une place de manager opérationnel à long terme, mais pour lancer la filiale Primeurs sur une démarche de qualité. Aujourd’hui l’équipe et les méthodes de travail sont en place, il faut accompagner le pilotage de cette machine, principalement humaine.

Si mon expérience professionnelle m’a appris qu’il fallait 5 ans pour monter un projet, les fellahs et les techniciens du Maroc m’ont enseigné que c’est à partir des 6ème et 7ème années que se construit la trajectoire durable. Celle qui doit fédérer les producteurs et les équipes dans une vision commune de notre évolution, valorisant nos atouts et renforçant nos liens. C’est ce que nous abordons aujourd’hui à la COPAG, avec l’équipe Primeurs. Cette étape est nouvelle pour moi mais je bénéficie de toute l’expérience de la Coopérative, de ses Haj et de mes collaborateurs. Alors j’apprends.

J’ai eu également la chance de rencontrer un homme qui m’a permis de conserver une part de liberté dans mon activité. Tout en restant pleinement impliqué dans la Production des adhérents, je réalise des missions d’accompagnement de projets en Afrique de l’Ouest et au Maroc au travers d’Agro Stratégie Développement. Dans ce cadre, j’ai par exemple collaboré avec

Le cabinet conseil ASD qui réunit des experts de terrain, liés par des relations d’amitié et une même passion pour le développement. C’est aussi un lieu d’échange de compétences et de formation personnelle qui nous conduit à travailler avec des multinationales, des investisseurs privés ou des coopératives comme celle de mes amis de COMAPRIM. De plus le Sénégal est resté pour moi un pays d’accueil dans lequel je m’investis toujours.

Mes différents engagements s’enrichissent mutuellement par l’ouverture d’esprit et le recul qu’ils apportent. Ils permettent des gains de temps et d’efficacité grâce au développement de méthodologies réfléchies ici, et adaptables ailleurs. Ces engagements ont aussi en commun d’être au service d’un développement qui ne portera ses fruits à long terme que s’il est réellement au service de l’Homme, c’est-à-dire de tous les hommes.

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