Agrumes: L’interprofession minée par des «divisions»

Rien ne va plus pour la filière agrumicole. La crise est profonde et n’a rien à voir avec le climat ou la mauvaise conjoncture internationale. «Elle est plutôt d’ordre structurel», conviennent les participants au dernier forum organisé à Agadir à l’initiative de l’Association des producteurs d’agrumes du Maroc (Aspam).

Certes, l’actuelle campagne d’export en est le détonateur, avec à la clé deux régions sinistrées, mais les causes profondes remontent à plusieurs années. Résultat, «une perte estimée à 7 milliards de DH lors de cette campagne 2016-2017», annonce le président de l’Aspam, Abdallah Jrid.

Et pour cause! Le mauvais départ pris par l’interprofession pour le déploiement du contrat-programme. Alors que les plantations ont pris le régime turbo, les autres composantes de la filière affichent moult dysfonctionnements. La part exportable stagne autour de 25% de la production avec une chute tendancielle de la recette du producteur. Panne sèche également de la transformation qui fait appel de plus en plus à l’import pour son approvisionnement. Et la logistique, en particulier l’emballage et le conditionnement, bien qu’elle tourne à moins de 40% de sa capacité, affiche des insuffisances, voire une absence dans certaines régions. Pourtant, tout le monde s’accorde pour constater que «des efforts importants ont été réalisés en ce qui concerne les plantations». Surtout l’extension du verger agrumicole. Depuis la signature du contrat-programme, la superficie a augmenté de 47% à 125.000 ha.

Ce qui dégage une hausse de 20% par rapport à l’objectif du contrat fixé à 101.000 ha. Pourquoi a-t-on fermé l’œil sur cet énorme écart pour une spéculation trop exigeante en eau et dont les périmètres ont toujours été délimités par la loi? A titre d’exemple, le quota réservé à la région d’Agadir, qui souffre d’un déficit hydrique chronique, ne devait pas dépasser 1.000 ha. Aujourd’hui, nul ne se hasarde (administration et profession) à avancer un chiffre. Avec quelles variétés les nouvelles plantations ont-elles été réalisées? Plusieurs producteurs ont eu la mauvaise surprise de se retrouver avec des variétés qu’ils n’ont pas commandées. Ceci est largement constaté pour la clémentine Bekria dont le profil variétal est constitué de très précoce, précoce et tardif. Mais sur le terrain, c’est la clémentine commune qui prédomine. Du coup, la concentration sur 3 à 4 mois de l’export des petits fruits. Ce qui explique également les gros dégâts financiers subis par les producteurs tant au niveau du marché local qu’à l’export. La dérive, explique un producteur du Gharb, tient au fait que les subventions ont été distribuées à tour de bras via les opérateurs en charge de pépinières et du matériel d’irrigation.

En revanche, le renouvellement des vieilles plantations s’est caractérisé par un retard inexplicable. «A peine 3.000 ha ont été régénérés sur les 30.000 prévus par le contrat-programme», relève Mohamed Sadiki, secrétaire général du ministère de l’Agriculture. Tout au plus, 10% de l’objectif en 2018. Un retard qui ne sera pas rattrapé d’ici cette échéance. Le même constat est valable pour l’export dont le volume devrait se situer entre 1,2 et 1,3 million de tonnes l’année prochaine. Et en 2018, la production devrait frôler les 3 millions de tonnes, compte tenu de l’arrivée en pleine production d’une part importante des nouvelles plantations.

Aujourd’hui, la cartographie du verger agrumicole fait ressortir une production estimée à 2,36 millions de tonnes et un volume à l’export de l’ordre de 550.000 tonnes. Or, s’il y a un semblant de consensus sur les données relatives aux exportations, les avis divergent quant au volume de production. «Chiffres à l’appui, il serait du même niveau que celui d’il y a cinq ans», avancent des professionnels. Avec l’export (550.000 tonnes), le volume transitant par les marchés de gros (350.000 tonnes), l’approvisionnement des usines de jus (50.000 tonnes) et les autres circuits informels (400.000 tonnes), cela donne une production totale de 1,35 million de tonnes. C’est 1 million de tonnes de moins par rapport aux données officielles. Car, si les plantations ont fortement augmenté, les rendements n’ont pas suivi. Bien au contraire, ils se sont inscrits en forte baisse, passant de 18 tonnes à l’hectare en moyenne à 15 tonnes.

Au demeurant, le marché local n’a pas la capacité d’absorber 1,7 million de tonnes à des prix au détail variant entre 4 et 5 DH/kg en moyenne. D’ailleurs, la prévision initiale du ministère de l’Agriculture (2,36 millions de tonnes) vient d’être revue à la baisse: 2,1 million de tonnes, soit une chute voisine de 12%. C’est énorme comme marge d’erreur dont la norme, partout dans le monde, la situe entre -3 et 3%.
Quoi qu’il en soit, les professionnels manquent cruellement de visibilité. Les données de l’enquête agrumicole, si vraiment elle est réalisée dans les règles de l’art, n’ont pas été publiées pour la troisième année consécutive. Un grand handicap pour organiser l’export et notamment la logistique. Les statistiques relatives aux expéditions sont distillées au compte-gouttes et à intervalles trop espacés par l’Etablissement autonome de contrôle et de coordination des exportations.

Le manque de visibilité concerne également les circuits de distribution au niveau local. Quid du volume réel transitant par les marchés de gros, la grande distribution et les usines de jus. Quelle tendance peut-on dresser des marchés extérieurs récents et traditionnels? Même les coûts de production ne sont pas cernés. Pour tous ces aspects, les producteurs réclament l’élaboration d’études spécifiques. Pour le moment, une seule a été lancée par l’interprofession et concerne la reconquête des marchés allemand et français où les agrumes marocains brillent par leur absence depuis plusieurs années. C’est le déclin annoncé, voire la disparition à l’export de nos agrumes, si un véritable plan de redressement n’est pas déployé d’urgence.

Source : leconomiste.com

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